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SUR LA RÉFORME ÉLECTORALE.

Vous nous dites encore : « De quoi vous plaignez-vous ? N’a-t-on pas fait droit à vos réclamations ? Vous n’aviez, avant la révolution de juillet, que 120,000 électeurs, et maintenant vous en avez 200,000. Le privilège est si étendu qu’il est à la portée de tout le monde. »

Votre argument me rappelle la requête de certains prisonniers qui se plaignaient que leur lit de camp en chêne était trop dur : on leur en fit faire un en bois blanc.

Quoi ! 200,000 électeurs et 32 millions de prolétaires, voilà ce que, dans cet âge constitutionnel, on appelle une nation libre ! Deux cent mille électeurs, c’est sous cette pelletée de terre que gît la souveraineté du peuple ! Mais, qui leur a donc octroyé, à ces deux cent mille électeurs, le droit de nous représenter ? L’article de la charte ainsi conçu ? Est-ce que notre souveraineté lui appartient, à l’article de la charte ?

Le privilège est à la portée de tout le monde ! Heureux pays ! Sublime gouvernement constitutionnel ! Voilà un vigneron, prenez un manœuvre si vous voulez, qui gagne 1 fr. en hiver, et 1 fr. 50 en été ; encore ne travaille-t-il point quand il pleut, ni quand il gèle. Cet homme a une femme, deux ou trois enfants, et peut-être de vieux parents à nourrir. Cependant, avec de l’ordre et de l’économie, il peut amasser deux ou trois mille francs de revenu et devenir aussi électeur ; notre législation ne s’y oppose pas !

Mais, vous qui incessamment parlez d’ordre, ne voyez-vous pas que le privilège, c’est le désordre légalement constitué, que c’est une infirmité du corps social. Si vous voyiez un homme qui eût une tête grosse comme le poing sur un corps de géant, vous diriez : Voilà un monstre ! D’une nation faite comme ce monstre, pourquoi n’en dites-vous pas autant ?

Eh ! que s’est-il donc passé depuis 93 ? Le peuple, est-ce un océan qui ne franchit son rivage que pour déplacer un grain de sable sur la côte ? Dire qu’il a eu deux révolutions à sa disposition, et qu’il n’en a pas mieux profité ! Nos pères, malgré la splendeur