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SUR LA RÉFORME ÉLECTORALE.

Pour moi, si j’étais roi constitutionnel, je me croirais plus solide au haut d’une cheminée ou sur la cime vacillante d’un mât, que sur mon trône. Je me dirais sans cesse : « Je suis aussi honnête qu’aucun de mes confrères ; mes intentions sont droites et pures : je veux le bonheur de mon peuple aussi ardemment que celui de ma propre famille ; mais je ne sais de quelle façon il veut être heureux, et cela je ne le saurai jamais ; car, en ce qui concerne les affaires publiques, tout le peuple a la langue coupée. En cherchant à lui complaire, je cours risque de le soulever. Cette ordonnance qu’ils me donnent à signer, qui doit, selon eux, combler la nation de reconnaissance et de joie, elle peut être l’arrêt de ma déchéance. Ils sont à la chambre quatre cents et quelques qui prétendent parler au nom du peuple ; mais leurs discours, au lieu de m’éclairer, augmentent mon incertitude. Leurs paroles se détruisent l’une l’autre. Quand l’un a dit blanc, il en vient un autre qui répond noir. Il en est de même de la presse qui, elle aussi, se dit la voix du peuple. Je marche au milieu des ténèbres, sans lanterne et sans bâton, sur un chemin entrecoupé d’abîmes. Je ne suis que roi, et le peuple est souverain. J’entends tous les jours, à ma table, mes parasites nier la souveraineté du peuple ; mais je sais que le peuple est souverain par cela seul qu’il existe. Son diadème est plus sacré que le mien ; c’est la dignité d’homme qui rayonne autour de son front ; son bras nu est plus fort que mon sceptre. Le peuple ne reçoit point d’attributions, c’est de lui que toute attribution procède. Les insignes de mes fonctionnaires ne sont que des paillettes d’or et d’argent éparses sur sa vaste pourpre. Où son pouvoir est absent, il n’y a qu’arbitraire, révolution certaine et courte durée. Tout pouvoir qui a pris la place du sien est un esclave qui gouverne la maison de son maître en son absence. Jusqu’à présent, ce peuple s’est docilement soumis à mon autorité ; mais le peuple, je le connais, souvent c’est un insecte qui se laisse fouler aux pieds dans la poussière, sans jeter un bruissement ; quelquefois le ver imperceptible se change en un énorme dragon qui roule autour du