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SUR LA RÉFORME ÉLECTORALE.

faut les engraisser et les manger, et c’est ce qu’on fera dans vingt, dans trente, dans cinquante ans, quand cette population qui monte et monte toujours comme les flots du déluge, ne pourra plus tenir entre les limites de la France. Si au contraire ce sont des hommes, pourquoi alors ne pas les traiter en hommes ?

Raillerie à part, les mendiants pourraient bien être des hommes. Je serais même tenté de pousser l’audace du sophisme jusqu’à affirmer qu’un mendiant dans sa peau, surtout quand il n’est pas retraité, qu’il n’est ni bossu, ni aveugle, ni boiteux, vaut bien un bourgeois dans la sienne. Mais quels hommes sont donc les mendiants ? Eh ! mon Dieu, ce sont des hommes qui n’ont pu trouver place au grand festin de l’industrie ; des hommes que le fort, qui veut avoir ses coudées franches et qui mange avec un glaive, a fait choir de leur siège, auxquels il a brisé leur écuelle ; des hommes dont les fragiles bras n’ont pu lutter avec les bras de fer de vos machines, qui tantôt travaillent comme des géants, et tantôt comme des fées ; des hommes enfin qui paient votre luxe du bonheur de leur vie. Vous, mes amis, qui êtes riches, si on vous confisquait votre profession, vous seriez encore quelque chose ; mais moi, si on brisait mon martinet, que serais-je ? un mendiant. Jésus-Christ qui disait à ses apôtres : « Allez annoncer à tel homme que j’irai faire la pâque en sa maison, » qu’était-il ? un mendiant. Et ses apôtres auxquels il défendait d’avoir deux habits, deux paires de souliers, de porter de l’argent dans leur ceinture, que voulait-il qu’ils fussent ? des mendiants. Jean-Jacques Rousseau, avant d’être un sublime écrivain, n’était qu’un mendiant. Et ces rois, quand un choc populaire a renversé leur trône comme un vil tabouret, que sont-ils ? des mendiants, qui de leur pourpre se sont fait une besace. C’est ainsi qu’en toutes choses les extrêmes se touchent. De même que la beauté, la grâce, la force se résolvent, quand la mort les a touchées de son doigt, en un peu de corruption, de même toute grandeur déchue, toute opulence tarie se résolvent en mendicité.