Page:Œuvres de Descartes, éd. Cousin, tome I.djvu/116

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les persécutions qu’il essuyoit en Hollande. Il partit enfin, et arriva au commencement d’octobre à Stockholm. La reine le reçut avec une distinction qu’on dut remarquer dans une cour. Elle commença par l’exempter de tous les assujettissements des courtisans ; elle sentoit bien qu’ils n’étoient pas faits pour Descartes. Elle convint ensuite avec lui d’une heure où elle pourroit l’entretenir tous les jours et recevoir ses leçons. On sera assez étonné quand on saura que ce rendez-vous d’un philosophe et d’une reine étoit à cinq heures du matin, dans un hiver très cruel. Christine, passionnée pour les sciences, s’étoit fait un plan de commencer la journée par ses études, afin de pouvoir donner le reste au gouvernement de ses états. Elle n’accordoit au repos que le temps qu’elle ne pouvoit lui refuser, et n’avoit d’autre délassement que la conversation de ceux qui pouvoient l’instruire. Elle fut si satisfaite de la philosophie de Descartes, qu’elle résolut de le fixer dans ses états par toutes sortes de moyens. Son projet étoit de lui donner, à titre de seigneurie, des terres considérables dans les provinces les plus méridionales de la Suède, pour lui et pour ses héritiers à perpétuité. Elle espéroit ainsi l’enchaîner par ses bienfaits. Malgré les bontés de la reine, il paroît que Descartes eut toujours un sentiment de préférence pour la princesse palatine, soit que, celle-ci ayant été sa première disciple, il dût être plus flatté de cet hommage ; soit que les malheurs d’une jeune princesse la rendissent plus intéressante aux yeux d’un philosophe sensible. Ce qu’il y a de sûr, c’est qu’il employa tout son crédit auprès de Christine pour servir Élisabeth : mais l’intérêt même qu’il parut y prendre l’empêcha probablement de réussir ; car la reine de Suède, assez grande pour aspirer à l’amitié de Descartes, ne l’étoit pas assez pour consentir à partager ce sentiment avec une autre.

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Les qualités particulières de Descartes étoient telles qu’on les indique ici. On doit lui en savoir gré ; la vertu est peut-être