Page:Œuvres de Descartes, éd. Cousin, tome I.djvu/119

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autres. Il avoit dans le commerce une politesse douce, et qui étoit encore plus dans les sentiments que dans les manières. Ce n’est point toujours la politesse du monde, mais c’est sûrement celle du philosophe. Il évitoit les louanges, comme un homme qui leur est supérieur. Il les interdisoit à l’amitié ; il ne les pardonnoit pas à la flatterie. Il n’eut jamais avec ses ennemis d’autre tort que celui de les humilier par sa modération ; et il eut ce tort très souvent. La calomnie le blessoit plus comme un outrage fait à la vérité, que comme une injure qui lui fût personnelle. Quand on me fait une offense, disoit-il, je tâche d’élever mon âme si haut, que l’offense ne parvienne pas jusqu’à moi. L’indignation étoit pour lui un sentiment pénible ; et s’il eût fallu, il eût plutôt ouvert son âme au mépris. Au reste, ces deux sentiments lui étoient comme étrangers, et ce qui se trouvoit naturellement dans son âme, c’étoit la douceur et la bonté. Cette âme forte et profonde étoit très sensible. Nous avons déjà vu son tendre attachement pour sa nourrice. Il traitoit ses domestiques comme des amis malheureux qu’il étoit chargé de consoler. Sa maison étoit pour eux une école de mœurs, et elle devint pour plusieurs une école de mathématiques et de sciences. On rapporte qu’il les instruisoit avec la bonté d’un père ; et quand ils n’avoient plus besoin de son secours, il les rendoit à la société, où ils alloient jouir du rang qu’ils s’étoient fait par leur mérite. Un jour l’un d’eux voulut le remercier : Que faites-vous ! lui dit-il, vous êtes mon égal, et j’acquitte une dette. Plusieurs qu’il avoit ainsi formés ont rempli avec distinction des places honorables. J’ai déjà rapporté quelques traits qui font connoître sa vive tendresse pour son père. Je ne prétends pas le louer par là ; mais il est doux de s’arrêter sur les sentiments de la nature. On lui a reproché de s’être livré aux foiblesses de l’amour, bien différent en cela de Newton, qui vécut plus de quatre-vingts ans dans la plus grande austérité de mœurs. Il y a apparence que Descartes, né avec une âme très sensible, ne put se défendre des charmes de la beauté. Quelques auteurs ont prétendu qu’il étoit marié secrètement ; mais, dans un de ces