Page:Œuvres de Descartes, éd. Cousin, tome I.djvu/17

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humaines et les juge : il annonce le besoin de refaire des idées nouvelles, et prédit quelque chose de grand pour les siècles à venir. Voilà ce que la nature avoit fait pour Descartes avant sa naissance ; et comme par la boussole elle avoit réuni les parties les plus éloignées du globe, par le télescope rapproché de la terre les dernières limites des cieux, par l’imprimerie elle avoit établi la communication rapide du mouvement entre les esprits d’un bout du monde à l’autre.

Tout étoit disposé pour une révolution. Déjà est né celui qui doit faire ce grand changement (1) ; il ne reste à la nature que d’achever son ouvrage, et de mûrir Descartes pour le genre humain, comme elle a mûri le genre humain pour lui. Je ne m’arrête point sur son éducation (2) ; dès qu’il s’agit des âmes extraordinaires, il n’en faut point parler. Il y a une éducation pour l’homme vulgaire ; il n’y en a point d’autre pour l’homme de génie que celle qu’il se donne à lui-même : elle consiste presque toujours à détruire la première. Descartes, par celle qu’il reçut, jugea son siècle. Déjà il voit au-delà ; déjà il imagine et pressent un nouvel ordre des sciences : tel, de Madrid ou de Gênes, Colomb pressentoit l’Amérique.

La nature, qui travailloit sur cette âme et la disposoit insensiblement aux grandes choses, y avoit mis d’abord une forte passion pour la vérité.