Page:Œuvres de Descartes, éd. Cousin, tome I.djvu/89

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l’en séparer, comme le statuaire, dit-il lui-même, travaille à tirer une Minerve d’un bloc de marbre qui est informe. Leur métaphysique le révoltoit par la barbarie des mots et le vide des idées ; leur physique par l’obscurité du jargon et par la fureur d’expliquer tout ce qu’elle n’expliquoit pas. Les mathématiques seules le satisfirent ; il y trouva l’évidence qu’il cherchoit partout. Il s’y livra en homme qui avoit besoin de connoître. Quelques auteurs prétendent qu’il inventa, étant encore au collége, sa fameuse analyse. Ce seroit un prodige bien plus étonnant que celui de Newton, qui à vingt-cinq ans avoit trouvé le calcul de l’infini. Quoi qu’il en soit de cette particularité, Descartes finit ses études en 1612. Le fruit ordinaire de ces premières études est de s’imaginer savoir beaucoup. Descartes étoit déjà assez avancé pour voir qu’il ne savoit rien. En se comparant avec tous ceux qu’on nommoit savants, il apprit à mépriser ce nom. De là au mépris des sciences il n’y a qu’un pas. Il oublia donc et les lettres, et les livres, et l’étude ; et celui qui devoit créer la philosophie en Europe renonça pendant quelque temps à toute espèce de connoissance. Voilà à peu près tout ce que nous savons des premières années de Descartes…

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Il étoit impossible que Descartes demeurât dans l’inaction. Il faut un aliment pour les âmes ardentes. Dès qu’il eut renoncé aux livres, il s’abandonna aux plaisirs. En 1614 il fit à Paris l’essai d’une liberté dangereuse ; mais son génie le ramena bientôt. Tout-à-coup il rompt avec ses amis et ses connoissances ; il loue une petite maison dans un quartier désert du faubourg Saint-Germain, s’y enferme avec un ou deux domestiques, n’avertit personne de sa retraite, et y passe les années 1615 et 1616 appliqué à l’étude, et inconnu presque à toute la terre. Ce ne fut qu’au bout de plus de deux ans qu’un ami le rencontra par hasard dans une rue écartée, s’obstina à le poursuivre jusque chez lui, et le rentraîna