Page:Œuvres de Descartes, éd. Cousin, tome I.djvu/96

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en se montrant eux-mêmes luttant contre les difficultés. Quoi qu’il en soit, voici la marche de Descartes. Dès l’âge de quinze ans, il commença à douter. Il ne trouvoit dans les leçons de ses maîtres que des opinions ; et il cherchoit des vérités. Ce qui le frappoit le plus, c’est qu’il voyoit qu’on disputoit sur tout. À dix-sept ans, ayant fini ses études, il s’examina sur ce qu’il avoit appris : il rougit de lui-même ; et, puisqu’il avoit eu les plus habiles maîtres, il conclut que les hommes ne savoient rien, et qu’apparemment ils ne pouvoient rien savoir. Il renonça pour jamais aux sciences. À dix-neuf, il se remit à l’étude des mathématiques, qu’il avoit toujours aimées. À vingt-un, il se mit à voyager pour étudier les hommes. En voyant chez tous les peuples mille choses extravagantes et fort approuvées, il apprenoit, dit-il, à se défier de l’esprit humain, et à ne point regarder l’exemple, la coutume et l’opinion comme des autorités. À vingt-trois, se trouvant dans une solitude profonde, il employa trois ou quatre mois de suite à penser. Le premier pas qu’il fit fut d’observer que tous les ouvrages composés par plusieurs mains sont beaucoup moins parfaits que ceux qui ont été conçus, entrepris et achevés par un seul homme : c’est ce qu’il est aisé de voir dans les ouvrages d’architecture, dans les statues, dans les tableaux, et même dans les plans de législation et de gouvernement. Son second pas fut d’appliquer cette idée aux sciences. Il les vit comme formées d’une infinité de pièces de rapport, grossies des opinions de chaque philosophe, tous d’un esprit et d’un caractère différent. Cet assemblage, cette combinaison d’idées souvent mal liées et mal assorties peut-elle autant approcher de la vérité que le feroient les raisonnements justes et simples d’un seul homme ? Son troisième pas fut d’appliquer cette même idée à la raison humaine. Comme nous sommes enfants avant que d’être hommes, notre raison n’est que le composé d’une foule de jugements souvent contraires, qui nous ont été dictés par nos sens, par notre nourrice et par nos maîtres. Ces jugements n’auroient-ils pas plus de vérité et plus d’unité, si l’homme, sans passer par la