Page:Œuvres de M. de Crébillon, tome premier, 1750.djvu/258

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Vous-même, ſans eſpoir de revoir le rivage,
1170Ne trouvâtes-vous pas un port dans le naufrage ?
Oreſte, comme vous, peut en être échappé.
Il n’eſt point mort, Seigneur, vous vous êtes trompé.
J’ai vu dans ce palais une marque aſſurée
Que ces lieux ont revu le petit-fils d’Atrée,
1175Le tombeau de mon père encor mouillé de pleurs,
Qui les auroit verſés ? Qui l’eût couvert de fleurs ?
Qui l’eût orné d’un fer ? Quel autre que mon frère
L’eût oſé conſacrer aux mânes de mon père ?
Mais quoi ! Vous vous troublez ! Ah ! Mon frère eſt ici.
1180Hélas ! Qui mieux que vous en doit être éclairci ?
Ne me le cachez point, Oreſte vit encore.
Pourquoi me fuir ? Pourquoi vouloir que je l’ignore ?
J’aime Oreſte, Seigneur ; un malheureux amour
N’a pu de mon eſprit le bannir un ſeul jour :
1185Rien n’égale l’ardeur qui pour lui m’intéreſſe.
Si vous ſaviez pour lui juſqu’où va ma tendreſſe,
Votre cœur frémirait de l’état où je ſuis,
Et vous termineriez mon trouble & mes ennuis.
Hélas ! Depuis vingt ans que j’ai perdu mon père,
1190N’ai-je donc pas aſſez éprouvé de miſère ?
Eſclave dans des lieux d’où le plus grand des rois
À l’univers entier ſemblait donner des lois,
Qu’a fait aux dieux cruels ſa malheureuſe fille ?
Quel crime contre Électre arme enfin ſa famille ?