Page:Œuvres de M. de Crébillon, tome premier, 1750.djvu/57

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Mais pourſuis, Égéſippe. Au pied du mont ſacré
Qui fut par Jupiter un aſile aſſuré,
J’interroge en tremblant le dieu ſur nos miſères.
Le prêtre deſtiné pour les ſecrets myſtères
Se traîne, proſterné, près d’un antre profond ;
Ouvre… avec mille cris le gouffre lui répond ;
D’affreux gémiſſements & des voix lamentables
Formaient à longs ſanglots des accents pitoyables,
Mais qui venaient à moi comme des ſons perdus,
Dont réſonnait le temple en échos mal rendus.
Je prêtais cependant une oreille attentive,
Lorſqu’enfin une voix plus forte & plus plaintive,
A paru raſſembler tant de cris douloureux,
Et répéter cent fois : « ô roi trop malheureux ! »
Déjà ſaisi d’horreur d’une ſi triſte plainte,
Le prêtre m’a bientôt frappé d’une autre crainte,
Quand, relevant ſur lui mes timides regards,
Je le vois, l’œil farouche & les cheveux épars,
Se débattre longtemps ſous le dieu qui l’accable,
Et prononcer enfin cet arrêt formidable :
Le roi n’ignore pas ce qu’exigent les dieux :
Maître encor de la Crète & de la deſtinée,
Il porte dans ſes mains le ſalut de ces lieux ;
Il faut le ſang d’Idoménée.