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T r a g é d i e.

Qui puiſoit ſes decrets dans le conſeil des Dieux,
Vend ce qu’à la vertu réſervoient nos ayeux.
Je vois avec douleur que cet affront vous bleſſe.

P R O B U S.

Eh ! ce n’eſt pas moi ſeul, Seigneur, qu’il intéreſſe,
Il rejaillit ſur vous encor plus que ſur moi,
Vous, qu’un vil orateur fait plier ſous ſa loi,
Vous, qui juſqu’à ce jour, armé d’un front terrible,
Des cœurs audacieux futes le moins flexible,
Qui d’un Sénat tremblant à votre fier aſpect,
Forciez d’un ſeul regard l’inſolence au reſpect ;
A ſa voix aujourd’hui plus ſoûmis qu’un eſclave,
Enfin à votre tour vous ſouffrez qu’on vous brave ;
Et vous abandonnez le ſoin de l’Univers
A des hommes ſans nom qui mettent Rome aux fers.
Eh que m’importe à moi que le Sénat m’outrage,
Que ſa corruption mette à prix ſon ſuffrage ?
L’Univers ne perd rien à mon abaiſſement,
Mon nom ni mes vertus n’en font pas l’ornement,
Les Dieux ne m’ont point fait pour le régir en maître ;
Vous ſeul… mais déſormais méritez-vous de l’être,
Avec une valeur qui n’oſeroit agir,
Et ce front outragé qui ne ſait que rougir ?
Quoi ! pour vous engager à ſauver la patrie,
Faudra-t-il qu’avec moi tout un peuple s’écrie :