Page:Œuvres de Robespierre.djvu/184

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tous ; ce sont ces précautions qui vous en ôtent tous les heureux fruits, pour ne vous en laisser que les poisons. Ce sont ces entraves qui produisent ou une timidité servile, ou une audace extrême. Ce n’est que sous les auspices de la liberté que la raison s’exprime avec le courage et avec le calme qui la caractérisent. C’est à elles encore que sont dus les succès des écrits licencieux, parce que l’opinion y met un prix proportionné aux obstacles qu’ils ont franchis, et à la haine qu’inspire le despotisme qui veut maîtriser jusqu’à la pensée. Ôtez-lui ce mobile, elle les jugera avec une sévère impartialité, et les écrivains dont elle est la souveraine ne brigueront ses faveurs que par des travaux utiles : ou plutôt soyez libres ; avec la liberté viendront toutes les vertus, et les écrits que la presse mettra au jour seront purs, graves et sains comme vos mœurs.

Mais pourquoi prendre tant de soin pour troubler l’ordre que la nature établissait d’elle-même ? Ne voyez-vous pas que, par le cours nécessaire des choses, le temps amène la proscription de l’erreur et le triomphe de la vérité ? Laissez aux opinions bonnes ou mauvaises un essor également libre, puisque les premières seulement sont destinées à rester. Avez-vous plus de confiance dans l’autorité, dans la vertu de quelques hommes intéressés à arrêter la marche de l’esprit humain, que dans la nature même ? Elle seule a pourvu aux inconvénients que vous redoutez ; ce sont les hommes qui les feront naître.

L’opinion publique, voilà le seul juge compétent des opinions privées, le seul censeur légitime des écrits. Si elle les approuve, de quel droit, vous, hommes en place, pouvez-vous les condamner ? Si elle les condamne, quelle nécessité pour vous de les poursuivre ? Si, après les avoir improuvés, elle doit, éclairée par le temps et par la réflexion, adopter tôt ou tard, pourquoi vous opposez-vous aux progrès des lumières ? comment osez-vous arrêter ce commerce de la pensée, que chaque homme a le droit d’en-