Page:Œuvres de Robespierre.djvu/295

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des riches, rappelez-vous le sublime dévouement des soldats et les infâmes trahisons des généraux, le courage invincible, la patience magnanime du peuple, et le lâche égoïsme, la perfidie odieuse de ses mandataires !

Mais ne nous étonnons pas trop de tant d’injustices. Au sortir d’une si profonde corruption, comment pouvaient-ils respecter l’humanité, chérir l’égalité, croire à la vertu ? Nous, malheureux, nous élevons le temple de la liberté avec des mains encore flétries des fers de la servitude ! Qu’était notre ancienne éducation, sinon une leçon continuelle d’égoïsme et de sotte vanité ? Qu’étaient nos usages et nos prétendues lois, sinon le code de l’impertinence et de la bassesse, où le mépris des hommes était soumis à une espèce de tarif, et gradué suivant des règles aussi bizarres que multipliées ? Mépriser et être méprisé, ramper pour dominer ; esclaves et tyrans tour à tour ; tantôt à genoux devant un maître, tantôt foulant aux pieds le peuple : telle était notre destinée, telle était noire ambition à nous tous tant que nous étions, hommes bien nés ou hommes bien élevés, honnêtes gens ou gens comme il faut, hommes de loi et financiers, robins ou hommes d’épée. Faut-il donc s’étonner si tant de marchands stupides, si tant de bourgeois égoïstes conservent encore pour les artisans ce dédain insolent que les nobles prodiguaient aux bourgeois et aux marchands eux-mêmes ? Oh ! le noble orgueil ! la belle éducation ! Voilà cependant pourquoi les grandes destinées du monde sont arrêtées ! voilà pourquoi le sein de la patrie est déchiré par les traîtres ! voilà pourquoi les satellites féroces des despotes de l’Europe ont ravagé nos moissons, incendié nos cités, massacré nos femmes et nos enfants ! Le sang de trois cent mille Français a déjà coulé ! Le sang de trois cent mille autres va peut-être couler encore, afin que le simple laboureur ne puisse siéger au sénat à côté du riche marchand de grains, afin que l’artisan ne puisse voter dans les assemblées du peuple à côté de l’il-