Page:Œuvres de Schiller, Esthétiques, 1862.djvu/199

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Lettre III

Au début de l’homme dans la vie, la nature ne le traite ni autrement ni mieux que le reste de ses créatures : elle agit pour lui lorsqu’il ne peut agir encore comme libre intelligence. Mais ce qui précisément le fait homme, c’est qu’il ne s’en tient pas à ce que la nature a fait de lui, c’est qu’il possède la faculté de revenir, guidé par la raison, sur les pas que la nature lui a fait faire par anticipation, de transformer l’œuvre de la nécessité en une œuvre de son libre choix, et d’élever la nécessité physique à l’état de nécessité morale.

Il s’éveille du sommeil des sens, se reconnaît homme, regarde autour de lui, et se voit au sein de l’État. La contrainte des besoins l’y a jeté, avant qu’il pût, dans sa liberté, choisir cette situation. La nécessité a fondé l’État d’après les lois purement naturelles, avant qu’il pût, lui, l’établir sur des lois rationnelles. Mais cet État fondé sur la nécessité, issu simplement de la destination naturelle de l’homme, et réglé uniquement sur elle, il ne pouvait et ne peut, en tant que personne morale, s’en contenter, et il serait malheureux pour lui qu’il le pût. En vertu des mêmes droits qui le font homme, il se soustrait donc à l’empire d’une aveugle nécessité : comme il s’y soustrait, par sa liberté, sur une foule d’autres points ; comme, pour ne donner qu’un exemple, il efface par la moralité et ennoblit par la beauté le caractère grossier que lui avait imprimé l’instinct sexuel de l’amour. C’est ainsi qu’à sa majorité, il recommence artificiellement son enfance, se forme en idée un état de nature, dont la notion, sans doute, ne lui est pas