Page:Œuvres de Schiller, Poésies, 1859.djvu/250

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220 POÉSIES DÉTACHÉES. Et le gouffre ondoie, bouillonne, et gronde, et siffle, comme quand l’eau se mêle au feu. L’écume jaillit en vapeur jusqu’au ciel ; les flots, sans fin, se pressent, succédant aux flots, et leur source ne veut s’épuiser ni se vider, comme si la mer allait enfanter une mer nouvelle. À la fin cependant cette violence fougueuse se calme ; et, noire à travers la blanche écume, s’ouvre une fente béante et sans fond : on dirait qu’elle va au séjour infernal, et l’on voit s’engouffrer les lames impétueuses, attirées dans cet entonnoir tournoyant. Alors, promptement, avant que le flot remonte, le jeune homme se recommande à Dieu, puis... un cri d’effroi se fait entendre à la ronde, et déjà le tourbillon l’a entraîné, et mystérieusement, sur le hardi nageur, la gueule se referme : il ne paraît plus. Et le silence règne au-dessus de l’abîme ; au fond seulement bruit un creux murmure, et de bouche en bouche on entend balbutier ces mots : « Magnanime jeune homme, adieu ! » Et le hurlement devient de plus en plus creux, et l’attente se prolonge encore, pleine d’angoisse et d’épouvante. Quand tu y jetterais ta couronne même, et quand tu dirais : « qui me rapportera la couronne, la posera sur sa tête et sera roi, » une si précieuse récompense ne me tenterait pas ; ce que l’abîme mugissant recèle dans son sein, jamais âme vivante et heureuse ne le racontera. Maint navire, saisi par le tourbillon, s’est abîmé comme un trait dans ces profondeurs ; mais quille et mâts ne se sont dégagagés que broyés, de cette tombe qui dévore tout.... Et de plus en plus clair, comme le grondement de la tempête, on entend d’instant en instant le bruit se rapprocher. Et le gouffre ondoie, bouillonne, et gronde, et siffle, comme quand l’eau se mêle au feu. L’écume jaillit en vapeur jus-