Page:Œuvres de Spinoza, trad. Appuhn, tome I.djvu/238

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est encore un grand empêchement en ce que, pour y parvenir, il faut nécessairement diriger sa vie d’après la manière de voir des hommes, c’est-à-dire fuir ce qu’ils fuient communément et chercher ce qu’ils cherchent.

(2) Voyant donc que ces objets sont un obstacle à l’entreprise d’instituer une vie nouvelle, que même il y a entre eux et elle une opposition telle qu’il faille nécessairement renoncer soit aux uns, soit à l’autre, j’étais contraint de chercher quel parti était le plus utile ; il semblait en effet, je l’ai dit, que je voulusse pour un bien incertain en perdre un certain. Avec un peu d’attention toutefois je reconnus d’abord que si, renonçant à ces objets, je m’attachais à l’institution d’une vie nouvelle, j’abandonnais un bien incertain de sa nature, comme il ressort clairement des observations ci-dessus, pour un bien incertain, non du tout de sa nature (puisque j’en cherchais un inébranlable) mais seulement quant à son atteinte. Une méditation plus prolongée me convainquit ensuite que, dès lors, si seulement je pouvais réfléchir à fond, j’abandonnais un mal certain pour un bien certain. Je me voyais en effet dans un extrême péril et contraint de chercher de toutes mes forces un remède, fût-il incertain ; de même un malade atteint d’une affection mortelle, qui voit la mort imminente, s’il n’applique un remède, est contraint de le chercher, fût-il incertain, de toutes ses forces, puisque tout son espoir est dans ce remède. Or les objets que poursuit le vulgaire non seulement ne fournissent aucun remède propre à la conservation de notre être, mais ils l’empêchent et, fréquemment cause de perte pour ceux qui les possèdent[1], ils sont

  1. Nous aurons à établir ce point plus soigneusement.