Page:Œuvres de Spinoza, trad. Appuhn, tome I.djvu/553

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que dit Spinoza dans son Introduction aux Principes de la Philosophie de Descartes (voir p. 312, et voir aussi la Notice relative à cet ouvrage, p. 285).

§ 44. a) Au sujet de la mémoire, voir Ethique (II, prop. 18 avec le scolie).

Dans ce dernier passage, Spinoza sous ce nom de mémoire traite de l’association des idées en tant qu’elle se ramène à une habitude du corps ; dans la Réforme de l’Entendement, la mémoire n’est pas l’habitude, elle est plutôt ce que nous appelons la reconnaissance du souvenir, plus exactement l’idée que nous avons qu’une certaine sensation a été éprouvée à un instant déterminé, quelle que puisse être la cause du réveil de cette sensation. La mémoire est donc ici une forme de la connaissance, et par cela même n’est point passive mais active : si nous assignons à la sensation une durée ou. en langage plus moderne, à un souvenir, une place parmi d’autres, ce n’est point parce qu’il se réveille à la suite de tel autre en vertu d’une habitude du corps, c’est parce que nous apercevons une raison pour le situer comme nous faisons. Le réveil lui-même n’est pas toujours un effet de l’habitude brute, comme le montre ce fait qu’on se souvient plus aisément de choses qui ont entre elles quelque relation intelligible, que de choses qui se sont simplement succédé dans le temps. Ainsi la mémoire, au moins dans ce passage de la Réforme de l’Entendement, n’est pas une propriété du corps et ne s’expliquerait point par raisons mécaniques : c’est une propriété d’un esprit joint à un corps, ou plus exactement d’un esprit à la nature duquel il appartient (cf. § 15, vers la fin) d’être joint à un corps. Il est fort regrettable que Spinoza n’ait pas cru devoir développer davantage ses idées sur la mémoire. Il eût été conduit, il me semble, à une théorie des rapports de l’âme et du corps plus profondément moniste que celle qu’il expose dans l’Ethique, dans laquelle le dualisme subsiste sous une certaine forme (celle du parallélisme) : il eût, plus complètement qu’il ne l’a fait, concilié son mécanisme avec la doctrine, qu’il professe, de l’individualité du corps et l’idée de la vie, celle aussi du devenir, qui né sont point absentes de la philosophie, y seraient plus faciles à saisir. Je vais jusqu’à croire qu’il se fût rapproché du point de vue de M. Bergson dans Matière et Mémoire. Mais cette sorte de connaissance qu’est la mémoire est trop dépendante encore, trop peu spéculative pour satisfaire Spinoza. Au point de vue encore platonicien où il se place de préférence, il n’y a ni passé ni futur, l’entendement concevant toutes choses sous forme d’essences éternelles. Trop uniquement préoccupé de connaissance intemporelle, il se désintéresse donc de la mémoire et de l’ima-