Page:Œuvres de Spinoza, trad. Appuhn, tome I.djvu/559

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dernière phrase un principe nouveau et tout différent ; il l’explique d’ailleurs dans les lignes qui suivent : le fundamentum qui doit diriger nos pensées d’un certain côté c’est la connaissance, déjà acquise, de la forme de la vérité, c’est aussi la connaissance, qu’il se propose d’acquérir de l’entendement, de ses propriétés et de ses forces. Il faudrait donc admettre, ce qui ne me parait guère possible, que Spinoza a employé à deux lignes de distance le même mot fundamentum pour désigner deux choses différentes.

Même si l’on voulait accepter cette hypothèse en alléguant que pareille inadvertance est concevable dans un ouvrage resté inachevé et qu’il y a d’autres passages du traité où l’expression de la pensée n’est pas irréprochable, toute difficulté ne serait pas levée : il resterait à expliquer le mot igitur. Est-ce parce qu’il n’y a pas d’autre principe déterminant (ou délimitant) nos pensées que celui du paragraphe 38, qu’il est nécessaire d’en avoir un d’autre sorte pour les diriger d’un certain côté ? On le croira difficilement ; Le mot igitur se rattacherait donc non à ce qui précède immédiatement, mais à ce qui est dit en premier lieu : Si une pensée est fausse les conséquences qu’on en déduira légitimement en montreront la fausseté ; si elle est vraie on en déduira sans interruption des idées vraies ; donc pour entreprendre une recherche quelconque et, en particulier, pour en instituer une ayant pour objet la chose la première de toutes, une première connaissance (fundamentum) est nécessaire, qui dirige nos pensées de ce côté.

J’accepte pour ma part cette interprétation, mais elle me parait s’accorder mieux avec la correction que je propose (après d’autres) qu’avec celle de Léopold tirée de la traduction hollandaise. Les mots placés avant donc seraient comme je les comprends une addition très acceptable : cela (c’est-à-dire le rappel de la règle posée au paragraphe 38) est requis, dis-je, pour notre objet, car (d’après cette règle) nos pensées ne peuvent sans une première connaissance être déterminées. Donc, etc.

Je fais observer que le mot terminare, que je traduis ainsi par déterminer au sens positif de produire, a bien ce sens dans d’autres passages, par exemple dans les Cogitata Metaphysica (II, 7) : ex perfectione Dei etiam sequitur ejus ideas non terminari, sicuti nostrae, ab objectis extra Deum positis. Il suit de la perfection de Dieu que ses pensées ne sont pas déterminées comme les nôtres par des objets placés hors de lui. Dans d’autres passages, à la vérité, comme dans le traité de la Réforme de l’Entendement (§ 38), terminare signifie déterminer au sens négatif de délimiter : Aliquis forte putabit quod fictio fictionem terminat sed non intellectio. Quelqu’un croira peut-être que c’est la fiction, non la connaissance, qui délimite la fiction.