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TRAITÉ

que les prophètes ont toujours eu quelque signe qui les rendait certains des choses qu’ils imaginaient prophétiquement, et c’est pour cette raison que Moïse (voyez Deutéron., chap. xviii, dernier verset) commande aux Juifs de demander aux prophètes un signe, c’est-à-dire la prédiction de quelque événement sur le point de s’accomplir. Par cet endroit la connaissance prophétique est donc inférieure à la connaissance naturelle, qui n’a besoin d’aucun signe, et de sa nature enveloppe la certitude. Du reste, cette certitude des prophètes n’était point mathématique, mais morale, et je le dis en me fondant sur l’Écriture. Moïse, en effet, ordonne que l’on punisse de mort le prophète qui voudra enseigner de nouveaux dieux, bien qu’il confirme sa doctrine par des signes et des miracles (Deutéron., chap. xiv) ; car, dit-il, Dieu fait aussi des miracles et des signes pour tenter son peuple ; et c’est aussi ce dont Jésus-Christ a soin d’avertir ses disciples (Matthieu, chap. xxiv, vers. 24). Ézéchiel va plus loin ; il dit en propres termes (chap. xvi, vers. 8) que Dieu trompe quelquefois les hommes par de fausses révélations : « Et quand un prophète (il s’agit ici d’un faux prophète) se montre et vous adresse quelque parole, c’est moi qui envoie ce prophète. » Et ce témoignage est confirmé par celui de Michée touchant les prophètes d’Achab (Rois, liv. I, chap. xxii, vers. 21).

Quoique ces passages semblent établir que la prophétie et la révélation sont choses fort douteuses, elles avaient pourtant beaucoup de certitude, Dieu ne trompant jamais les justes ni les élus ; mais, suivant cet ancien proverbe cité par Samuel (I, chap. xxiv, vers. 13), et comme le fait bien voir l’histoire d’Abigaïl, Dieu se sert des bons comme d’instruments de sa bonté, et des méchants comme de moyens et d’instruments de sa colère ; ce qui se confirme plus clairement par le témoignage de Michée que nous avons cité tout à l’heure ; car, bien que Dieu eût résolu de tromper Achab, il ne se servit pour cela que de faux prophètes, et découvrit la vérité au pro-