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THÉOLOGICO-POLITIQUE.

toute différente de celle qui résulte nécessairement de la nature des lois, promettant à ceux qui les observeraient les biens les plus chers au vulgaire, et menaçant ceux qui oseraient les violer des châtiments les plus redoutés ; et de telle sorte ils ont entrepris de maîtriser le vulgaire comme on fait un cheval à l’aide du frein. De là vient qu’on s’est accoutumé d’appeler proprement loi une règle de conduite imposée par certains hommes à tous les autres, et à dire que ceux qui obéissent aux lois vivent sous leur empire et dans une sorte d’esclavage. Mais la vérité est que celui-là seul qui ne rend à chacun son droit que par crainte de la potence, obéit à une autorité étrangère et sous la contrainte du mal qu’il redoute ; le nom de juste n’est pas fait pour lui. Au contraire, celui qui rend à chacun son droit parce qu’il connaît la véritable raison des lois et leur nécessité, celui-là agit d’une âme ferme, non par une volonté étrangère, mais par sa volonté propre, et il mérite véritablement le nom d’homme juste. C’est là sans doute ce que Paul a voulu nous apprendre quand il a dit que ceux qui vivaient sous la loi ne pouvaient être justifiés par la loi[1]. La justice en effet, selon la définition qu’on en donne communément, consiste dans une volonté ferme et durable de rendre à chacun ce qui lui est dû. C’est pourquoi Salomon a dit (Proverbes, chap. xxi, vers. 12) que l’exécution de la justice est la joie du juste et la terreur du méchant.

La loi n’étant donc autre chose qu’une règle de conduite que les hommes s’imposent à eux-mêmes ou imposent aux autres pour une certaine fin, il paraît convenable de distinguer deux sortes de lois, l’humaine et la divine. J’entends par loi humaine une règle de conduite qui sert à la sûreté de la vie et ne regarde que l’État ; j’appelle loi divine celle qui n’a de rapport qu’au souverain bien, c’est-à-dire à la vraie connaissance et à l’amour de Dieu. Ce qui fait que je donne à cette dernière loi le

  1. Aux Romains, chap. iii, vers. 20.