Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome II.djvu/163

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
95
THÉOLOGICO-POLITIQUE.

ment que par l’espérance des biens qu’ils désirent avec le plus d’ardeur ; car de cette façon le devoir est pour chacun d’accord avec ses désirs. Enfin, puisque l’obéissance consiste à se conformer à un certain ordre en vertu du seul pouvoir de celui qui le donne, il s’ensuit que dans une société où le pouvoir est entre les mains de tous et où les lois se font du consentement de tout le monde, personne n’est sujet à l’obéissance ; et soit que la rigueur des lois augmente ou diminue, le peuple est toujours également libre, puisqu’il agit de son propre gré, et non par la crainte d’une autorité étrangère. C’est justement le contraire qui arrive dans un gouvernement absolu : tous les citoyens y agissent en effet par l’autorité d’un seul ; et s’ils n’ont pas pris dès l’enfance l’habitude de cette dépendance, il sera difficile au souverain d’introduire de nouvelles lois et de reprendre au peuple la part de liberté qu’il lui aura une fois accordée.

Ces principes posés d’une manière générale, je viens à la république des Hébreux. À la sortie d’Égypte, les Hébreux, ne subissant plus la loi d’une nation étrangère, pouvaient à leur gré se donner des institutions, établir tel ou tel gouvernement, occuper enfin le pays qui leur convenait le mieux. Mais il se rencontrait que la chose dont ils étaient le plus incapables, c’était justement d’établir une sage législation et de se gouverner par eux-mêmes ; le génie de cette nation était grossier, et les misères de l’esclavage avaient énervé presque toutes les âmes. Il fallut donc que le pouvoir se concentrât aux mains d’un seul homme, que cet homme eût autorité sur les autres et les fît obéir par la force, en un mot qu’il établît des lois et se chargeât de les interpréter pour l’avenir. Moïse n’eut point de peine à conserver ce grand pouvoir. C’était un homme qu’élevait au-dessus de tous sa vertu divine, et qui sut la faire regarder comme telle par le peuple et en donner de nombreux témoignages (voyez l’Exode, chap. xiv, dernier verset ; chap. xxix, vers. 9). Grâce à cette vertu divine, il institua donc des