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TRAITÉ

qu’il existe un Dieu, et d’être éclairé sur les autres vérités que nous rappelions tout à l’heure, s’il mène d’ailleurs une vie réglée par la raison, je dis qu’il est parfaitement heureux ; et j’ajoute même qu’il est plus heureux que le vulgaire, puisqu’il possède non-seulement une croyance vraie, mais une conception claire et distincte de cette croyance. Il résulte enfin de nos principes qu’un homme qui ne connaît pas l’Écriture et n’est pas non plus éclairé sur les grands objets de la foi par la lumière naturelle, un tel homme est, je ne dis pas un impie, un esprit rebelle, mais quelque chose qui n’a rien d’humain, presque une brute, un être abandonné de Dieu.

Au surplus, qu’on le remarque bien, en disant que la connaissance des récits de l’Écriture est nécessaire au peuple, nous n’entendons pas parler de toutes les histoires qui sont contenues dans les livres saints, mais seulement des principales ; je veux dire de celles qui peuvent, sans le secours des autres, mettre en pleine lumière les vérités de la foi et ébranler fortement l’âme des hommes. Car si tous les récits de l’Écriture étaient nécessaires pour établir la doctrine qu’elle enseigne, et s’il fallait les embrasser tous à la fois pour en déduire une conclusion pratique, la connaissance de la religion surpasserait alors, je ne dis pas l’esprit du peuple, mais l’esprit humain, puisqu’il serait visiblement impossible de se rendre attentif à un si grand nombre de récits historiques, avec le cortège de leurs circonstances et des conséquences doctrinales qu’il faudrait en déduire. Pour moi j’ai peine à croire que ceux mêmes qui nous ont transmis l’Écriture telle que nous l’avons aient eu un génie assez puissant pour embrasser un si grand objet ; et je me persuade plus difficilement encore qu’on ne puisse entendre la doctrine de l’Écriture sans connaître les troubles domestiques de la famille d’Isaac, les conseils d’Achitophel à Absalon, la guerre civile des enfants de Juda et de ceux d’Israël, et autres récits de ce genre ; car il faudrait croire alors que les premiers Juifs du