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TRAITÉ

étaient alors en effet très-florissantes, au lieu de s’occuper avec une égale sollicitude de tous les humains, ainsi que l’enseigne la philosophie, qui seule d’ailleurs peut démontrer qu’il en est ainsi. Voilà pourquoi les Juifs et tous ceux qui ne connaissent la providence de Dieu que par l’état variable des choses humaines et l’inégalité des conditions, se sont persuadés que les Juifs étaient plus chers à Dieu que tous les autres peuples, quoiqu’ils ne les aient point surpassés en véritable perfection, comme nous l’avons démontré dans le chapitre iii.

Mais il est temps d’arriver à notre troisième principe, qui est que les décrets et les ordres de Dieu, et par conséquent sa providence, ne sont, dans l’Écriture, rien autre chose que l’ordre de la nature ; en d’autres termes, quand l’Écriture dit qu’une chose est l’œuvre de Dieu, ou qu’elle a été faite par sa volonté, elle entend que cette chose s’est faite suivant les lois et l’ordre de la nature, et point du tout, comme le croit le vulgaire, que la nature a cessé d’agir pour laisser faire Dieu, ou que son cours a été quelque temps interrompu. Du reste, l’Écriture ne s’explique jamais directement sur ce qui n’a point de rapport à l’enseignement qu’elle veut donner, par cette raison (que nous avons déjà établie en traitant de la loi divine) que son objet n’est nullement d’expliquer les choses par leurs causes naturelles, ni de résoudre des questions de pure spéculation. Nous nous proposons donc ici d’interpréter dans notre sens certains récits de l’Écriture qui se trouvent être plus étendus et plus circonstanciés que les autres. En voici quelques-uns : dans le livre de Shamuel (chap. ix, vers. 15, 16) il est dit que Dieu révéla à Shamuel qu’il enverrait vers lui Saül ; et toutefois Dieu n’envoya pas Saül vers Shamuel, comme les hommes envoient d’ordinaire telle personne vers telle autre ; cet envoi de Saül accompli par Dieu fut tout simplement l’ordre même de la nature. Saül, en effet (comme on le raconte au chapitre précédent de Shamuel), était à la recherche des ânesses qu’il avait perdues ; et après