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THÉOLOGICO-POLITIQUE.

commandement de Moïse, la mer recommença de s’enfler ; et il n’est pas question du vent. Mais dans le cantique de Moïse (chap. xv, vers. 10) il est dit que la mer s’enfla par un souffle de Dieu (c’est-à-dire par un vent très-fort) ; par où l’on voit que si cette circonstance a été omise dans le récit qui précède, c’est pour que le miracle parût plus grand. On dira que nous trouvons dans l’Écriture une foule de choses qui ne semblent pas pouvoir être expliquées en aucune façon par des causes naturelles : on y voit, par exemple, que les péchés des hommes et leurs prières peuvent être cause de la pluie et de la fertilité de la terre, que la foi a pu guérir des aveugles, et une infinité de choses semblables. Mais je crois avoir déjà répondu à cette objection ; j’ai montré en effet que l’Écriture n’a jamais pour objet d’expliquer les choses par leurs causes prochaines, mais seulement de les présenter dans un certain ordre et avec un certain style capables d’exciter la dévotion des hommes, particulièrement du vulgaire ; et c’est pourquoi elle s’exprime sur Dieu et sur toutes choses d’une façon très-peu exacte ; car ce n’est point la raison qu’elle veut convaincre, c’est l’imagination qu’elle veut frapper. Supposez en effet que l’Écriture raconte la chute d’un empire à la façon des écrivains politiques, le peuple n’en sera nullement touché ; mais il arrivera justement le contraire, si on fait un tableau poétique de cet empire qui s’écroule, et si on a soin, comme l’Écriture, de tout rapporter à Dieu. Lors donc que l’Écriture raconte que la terre est devenue stérile à cause des péchés des hommes, ou que les aveugles ont été guéris par leur foi, nous ne devons pas plus être choqués de tout cela que de l’entendre dire que Dieu s’irrite des péchés des hommes, qu’il en est contristé, qu’il regrette le bien qu’il leur a promis et qu’il leur a fait ; ou encore que Dieu se souvient, en apercevant quelque signe, d’une promesse par laquelle il s’est engagé ; et mille paroles semblables, qui sont des images poétiques, ou bien qui marquent seulement les opinions