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THÉOLOGICO-POLITIQUE.

pourrais confirmer ces réflexions en citant un grand nombre de philosophes qui ont écrit l’histoire de la nature, et une foule de chroniqueurs ; mais cela est présentement superflu, et je vais me borner à un exemple tiré de l’Écriture sainte, me fiant pour le reste à la sagesse du lecteur.

Au temps de Josué, les Hébreux (ainsi que nous l’avons déjà remarqué) croyaient, comme fait encore le vulgaire, que le soleil se meut d’un mouvement diurne, et que la terre est en repos. Ils ne manquèrent pas d’accommoder à cette opinion le miracle qu’ils virent s’accomplir, quand ils livrèrent bataille aux cinq rois. Car ils ne dirent pas simplement que le jour de cette bataille fut plus long qu’à l’ordinaire ; ils ajoutèrent que le soleil et la lune s’étaient arrêtés, avaient suspendu leur mouvement. Or, il est clair que cette manière de présenter l’événement était très-propre à agir sur les nations païennes de ce temps qui adoraient le soleil, et à leur prouver par le témoignage des faits que le soleil est sous l’empire d’une puissance plus haute, qui peut l’obliger par sa seule volonté à changer l’ordre de son cours. Ainsi donc, moitié par religion, moitié par suite de préjugés établis, les Hébreux furent amenés à concevoir un événement et à le raconter tout autrement qu’il n’avait pu effectivement se produire.

Il est par conséquent nécessaire, pour interpréter les miracles de l’Écriture et s’en faire une juste idée d’après le récit qu’on a sous les yeux, de connaître les opinions des premiers témoins de ces faits miraculeux et de ceux qui nous ont transmis leur témoignage, et d’établir une distinction profonde entre les opinions du témoin ou de l’écrivain et les faits eux-mêmes tels qu’ils ont pu se présenter à leurs yeux. Faute de cette distinction, on confondra des faits réels avec des opinions et des jugements. Ce n’est pas tout : on confondra ces faits avec d’autres faits tout fantastiques, qui n’ont eu lieu que dans l’imagination des prophètes. Car il ne faut pas douter que