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THÉOLOGICO-POLITIQUE.

d’une histoire complète de la langue hébraïque les difficultés qui naissent de la constitution et de la nature même de cette langue. Elles sont si grandes et les ambiguïtés reviennent si souvent qu’une méthode capable de donner le vrai sens de tous les passages de l’Écriture est quelque chose d’absolument impossible[1]. On s’en convaincra si l’on veut remarquer qu’outre les causes d’ambiguïté communes à toutes les langues, il en est qui sont particulières à la langue hébraïque et d’où sortent une infinité d’équivoques inévitables. C’est ce que je crois utile d’expliquer ici avec l’étendue convenable.

La première cause d’ambiguïté et d’obscurité dans les livres saints vient de ce que les lettres d’un même organe se prennent l’une pour l’autre. Les Hébreux, en effet, divisent toutes les lettres de l’alphabet en cinq classes qui correspondent aux cinq parties de la bouche qui servent à la prononciation, savoir : les lèvres, la langue, les dents, le palais et le gosier. Par exemple : alpha, ghet, hgain, he sont appelées gutturales, et se prennent indifféremment, à notre avis du moins, l’une pour l’autre. Ainsi, el, qui signifie vers, se prend souvent pour hgal, qui signifie au-dessus, et réciproquement. Et de là vient que toutes les parties du discours sont presque toujours ou ambiguës ou dépourvues d’un sens précis.

La seconde cause d’ambiguïté, c’est que les conjonctions et les adverbes ont plusieurs significations. Par exemple, vau, qui est aussi bien conjonctive que disjonctive, signifie et, mais, pour, que, or, alors. Ki a également sept ou huit significations, savoir : parce que, quoique, si, quand, de même que, ce que, combustion, etc. ; il en est de même de presque toutes les particules.

Mais voici une troisième source d’ambiguïtés multipliées : les verbes, en hébreu, n’ont à l’indicatif ni présent, ni prétérit imparfait, ni plus-que-parfait, ni futur parfait, ni les autres temps les plus usités dans les autres

  1. Voyez les Notes marginales de Spinoza, note 8.