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THÉOLOGICO-POLITIQUE.

faut mettre en cause ; et pour le prouver, et en même temps pour faire voir à chacun que cette divergence dans l’interprétation provient du défaut de voyelles, je vais exposer ici les deux sens qu’on a donnés à cet endroit de l’Écriture. Les ponctuistes ont entendu ainsi (par leur manière de ponctuer) : Et Israël se pencha sur, ou (en changeant hgain en aleph, lettre du même organe) vers le chevet de son lit. L’auteur de l’Épître a entendu, au contraire : Et Israël se pencha sur le haut de son bâton. Pourquoi cela ? c’est qu’il a lu mate au lieu de mita, différence qui est tout entière dans les voyelles. Or, maintenant, comme il ne s’agit dans le récit de la Genèse que de la vieillesse de Jacob, et non pas de sa maladie, dont il est parlé seulement au chapitre qui suit, il est vraisemblable que l’écrivain a voulu dire que Jacob se pencha sur le haut de son bâton, geste familier aux vieillards d’un âge très-avancé, et non pas sur le chevet de son lit. Ajoutez que cette manière d’entendre le texte a encore un autre avantage, c’est qu’on n’est obligé de supposer aucune subalternation de lettres. Cet exemple peut donc servir, non-seulement à montrer l’accord de ce passage de l’Épître aux Hébreux avec le texte de la Genèse, mais à faire voir en même temps combien peu il faut se fier à la ponctuation et à l’accentuation actuelles de la Bible ; d’où il résulte qu’on doit les tenir pour suspectes, et revoir le texte tout de nouveau, si l’on veut interpréter sans préjugé les saintes Écritures.

Je reviens à mon sujet : il est aisé de reconnaître par la nature et la constitution de la langue hébraïque qu’aucune méthode n’est capable d’en éclaircir toutes les difficultés. Car il ne faut point espérer d’y réussir par la comparaison des passages, bien que ce soit le seul moyen de reconnaître le véritable sens de chacun d’eux, parmi une infinité de sens divers que l’usage de la langue permet de leur donner. Mais d’abord ce n’est guère que par hasard qu’un passage peut servir à en éclaircir un autre, nul prophète n’ayant écrit dans le dessein d’expliquer