Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome II.djvu/212

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
144
TRAITÉ

données par des hommes d’une plus grande autorité.

Une autre difficulté que rencontre notre méthode dans l’interprétation de certains livres de l’Écriture, c’est que nous ne les avons plus dans la même langue où ils ont été écrits. C’est une opinion généralement reçue que l’Évangile selon saint Matthieu et même l’Épître aux Hébreux ont été écrits en langue hébraïque ; or le texte primitif n’existe plus. De même on ne sait pas bien en quelle langue a été écrit le livre de Job. Aben Hezra soutient en ses commentaires qu’il a été traduit d’une autre langue en hébreu, et il en explique ainsi les obscurités. Je ne dis rien des livres apocryphes ; car ils n’ont pas à beaucoup près la même autorité.

Voilà toutes les difficultés qu’on a à surmonter quand on veut interpréter l’Écriture en se fondant sur son histoire. Elles sont si grandes que j’ose affirmer qu’il faut savoir ignorer le véritable sens d’une foule de passages des livres saints, si l’on ne veut se payer de vaines conjectures. Toutefois il faut bien remarquer que ces difficultés ne se présentent que lorsqu’il s’agit dans les prophètes de choses incompréhensibles pour la raison, ou qui ne s’adressent qu’à l’imagination ; car pour les choses que l’entendement peut atteindre d’une vue claire et distincte[1], et qui sont concevables par elles-mêmes, on a beau en parler obscurément, nous les entendons toujours sans beaucoup de peine, suivant le proverbe : À qui comprend, un mot suffit. Euclide, par exemple, qui n’a traité dans ses livres que d’objets très-simples et parfaitement intelligibles, se fait comprendre en toute sorte de langues par les moins habiles ; et il n’est point du tout nécessaire, pour pénétrer dans sa pensée et être certain du véritable sens de ses paroles, de posséder parfaitement la langue où il a écrit ; il suffit d’en avoir une connaissance très-ordinaire et dont un enfant serait capable. Ce n’est pas non plus une chose nécessaire

  1. Voyez les Notes de Spinoza, note 9.