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THÉOLOGICO-POLITIQUE.

nous parle est, au sentiment de tout le monde, un don divin qui n’est accordé qu’aux fidèles. Or ce n’est pas aux seuls fidèles que les prophètes étaient habitués à s’adresser, mais plus particulièrement aux infidèles et aux méchants, qui à ce compte eussent été incapables de comprendre les paroles des apôtres et des prophètes. Il semblerait donc que ces envoyés divins avaient mission de prêcher seulement aux enfants, et non pas à des hommes doués de raison. Je demande aussi à quoi il aurait servi que Moïse établît des lois, si les fidèles seuls, qui n’ont besoin d’aucune loi, eussent été capables de les entendre. Il paraît donc bien certain que ceux qui, pour entendre les prophètes et les apôtres, cherchent une lumière surnaturelle ne sont pas suffisamment éclairés de la naturelle ; tant s’en faut qu’ils aient reçu des dons supérieurs et divins.

Maïmonide a adopté des sentiments bien différents. Il a cru qu’il n’y a point de passage dans l’Écriture qui n’admette plusieurs sens divers et même contraires, et qu’il est impossible d’être assuré du véritable, si l’on n’a la preuve que l’interprétation qu’on propose ne contient rien qui ne soit d’accord avec la raison. Car s’il se trouve que le sens littéral, quoique parfaitement clair en soi, choque la raison, il est d’avis qu’on le doit abandonner pour en chercher un autre ; c’est ce qu’il explique très-expressément au chap. xxv, part. 2, du livre More Nebuchim : « Sachez bien, dit-il, que si nous ne voulons pas admettre l’éternité du monde, ce n’est point à cause des passages de l’Écriture où il est dit que le monde a été créé ; car il y a tout autant de passages où Dieu nous est représenté comme corporel. Or, de même que nous avons expliqué ces endroits de l’Écriture de façon à éloigner de la nature de Dieu toute matérialité, nous aurions également trouvé moyen d’interpréter les passages sur la création dans un sens favorable à l’éternité du monde ; et la chose même eût été pour nous plus facile et plus commode ; mais ce qui nous a empêché d’en user de la sorte et d’admettre que le monde est