Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome II.djvu/270

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citer encore beaucoup d’autres expressions. Il faut remarquer que, lorsqu’il dit dans ce chapitre qu’il n’a pas de commandement de Dieu, il n’entend par là ni précepte ni commandement que Dieu lui aurait révélés ; il parle seulement des enseignements donnés par le Christ sur la montagne à ses disciples. D’ailleurs, si nous prenons garde à la manière dont les apôtres nous transmettent dans leurs Épîtres la doctrine évangélique, nous verrons qu’elle est bien différente de celle qu’ont employée les prophètes pour nous transmettre leurs prophéties. Car les apôtres raisonnent sans cesse de telle sorte qu’ils ne semblent pas prophétiser, mais discuter. Les prophéties ne contiennent que de purs dogmes et des décrets, parce que Dieu est représenté comme prenant lui-même la parole, non pas pour raisonner, mais pour imposer des ordres, selon le pouvoir absolu qui appartient à sa nature. L’autorité du prophète ne doit pas en effet souffrir la discussion ; car quiconque veut confirmer ses dogmes par la raison les soumet par cela même au libre jugement de chacun. C’est bien ainsi que Paul paraît l’entendre, lui qui a l’habitude de raisonner, lorsque dans l’Épître I aux Corinthiens (chap. X, vers. 15) il s’exprime en ces termes : Je vous parle comme à des personnes sages ; jugez vous-mêmes la vérité de ce que je vous dis. Il faut dire ensuite que les prophètes percevaient les choses révélées sans les secours de la lumière naturelle, c’est-à-dire sans le raisonnement, comme nous l’avons vu au chapitre I. Bien que certaines conclusions dans le Pentateuque semblent le résultat du raisonnement, on verra, si on y prend garde, qu’on ne peut nullement les prendre pour des arguments rigoureux : par exemple, lorsque Moïse, dans le Deutéronome (chap. XXXI, vers. 27), dit aux Israélites : Si vous avez été rebelles contre Dieu, tandis que j’ai vécu parmi vous, vous le serez bien plus après ma mort, il faut bien se garder de croire que Moïse veuille prouver aux Israélites par le raisonnement qu’ils abandonneront nécessairement après sa mort le vrai culte de Dieu ; car cet argument serait