Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome II.djvu/302

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eux et ne défendent pas les mêmes dogmes. Car nous ne connaissons les fidèles qu’à cette marque, qu’ils aiment la justice et la charité ; et celui qui persécute les fidèles est un antéchrist. Il s’ensuit enfin que la foi ne requiert pas tant la vérité dans les doctrines que la piété, c’est-à-dire ce qui porte l’esprit à l’obéissance. Alors même que la plupart de ces doctrines n’auraient pas l’ombre de la vérité, il suffit que celui qui les embrasse en ignore la fausseté ; autrement, il serait nécessairement rebelle : comment, en effet, se pourrait-il faire que celui qui veut aimer la justice et cherche à obéir à Dieu adorât comme divin ce qu’il sait être étranger à la nature divine ? Cependant les hommes peuvent errer par simplicité d’esprit, et l’Écriture ne condamne pas l’ignorance, mais seulement l’obstination, ainsi que nous l’avons déjà fait voir ; cela résulte même nécessairement de la seule définition de la foi, dont toutes les parties doivent se tirer de la règle universelle que nous avons déjà exposée et de l’unique objet de toute l’Écriture, à moins qu’il ne nous convienne d’y mêler nos propres idées. Or ce n’est point expressément la vérité que cette définition exige, mais des dogmes capables de nous porter à l’obéissance et de nous confirmer dans l’amour du prochain, et c’est seulement avec cette disposition d’esprit que tout homme (pour parler avec Jean) est en Dieu, et que Dieu est en nous. Ainsi, puisque la foi de chacun ne doit être réputée bonne ou mauvaise qu’en raison de l’obéissance ou de l’obstination, et non par rapport à la vérité ou à l’erreur, et que personne ne doute que généralement les esprits des hommes ne soient si divers que, loin de tomber d’accord sur toutes choses, ils ont au contraire chacun leur opinion (car la même chose qui excite en l’un des sentiments de piété porte l’autre à la raillerie et au mépris), il s’ensuit que les dogmes qui peuvent donner lieu à controverse parmi les honnêtes gens n’appartiennent en aucune façon à la foi catholique ou universelle. Car de pareils dogmes peuvent être bons pour les uns et mauvais pour les autres, puis-