Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome II.djvu/310

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de parler indignement contre la raison, véritable original de la parole de Dieu, de l’accuser de corruption, d’aveuglement et d’impiété, tandis qu’on tiendrait pour un très-grand sacrilège celui qui aurait de pareils sentiments sur la lettre de l’Écriture qui n’est, après tout, que l’image et le simulacre de la parole de Dieu. On pense que c’est une chose sainte que de n’avoir aucune confiance dans la raison et dans son propre jugement, et qu’il y a de l’impiété à douter de la fidélité de ceux qui nous ont transmis les livres sacrés ; mais ce n’est pas là de la piété, c’est de la folie. Car enfin qu’est-ce qui les inquiète ? de quoi ont-ils peur ? Est-ce que la religion et la foi ne sauraient être défendues, si les hommes ne prenaient soin de tout ignorer et d’abdiquer la raison ? Certes, avec de pareils sentiments, ils marquent pour l’Écriture plus de défiance que de foi. Mais il s’en faut beaucoup que la religion et la piété exigent l’esclavage de la raison, ou que la raison veuille celui de la religion et que l’une et l’autre ne puissent régner en paix chacune dans son domaine ; c’est un point que nous allons bientôt établir ; mais il faut d’abord examiner la règle proposée par le rabbin dont nous avons parlé plus haut. Il veut, comme nous l’avons dit, nous faire admettre comme vrai tout ce que l’Écriture affirme, et rejeter comme faux ce qu’elle nie ; il prétend ensuite qu’il n’arrive jamais à l’Écriture d’affirmer ou de nier expressément quelque chose de contraire à ce qu’elle a affirmé ou nié dans un autre passage. La témérité de ces deux propositions frappera tous les esprits. Je ne rappellerai pas qu’il n’a point remarqué que l’Écriture est composée de livres divers, qu’elle a été écrite en divers temps pour des hommes divers, et enfin par divers auteurs ; outre cela, que cet auteur fonde toute sa doctrine sur sa propre autorité, la raison et l’Écriture ne disant rien de semblable ; car il aurait dû nous prouver que tous les passages qui, à son avis, ne sont en contradiction avec d’autres qu’indirectement, peuvent facile-