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CHAPITRE XVI.


DU FONDEMENT DE L’ÉTAT ; DU DROIT NATUREL ET CIVIL DE CHACUN, ET DU DROIT DU SOUVERAIN.

Jusqu’ici nous avons pris soin de séparer la philosophie de la théologie, et de montrer la liberté que celle-ci laisse à chacun. Il est donc temps de rechercher jusqu’où s’étend dans un État bien réglé cette liberté de penser et de dire ce qu’on pense. Pour examiner cette question avec méthode, nous rechercherons les fondements de l’État ; mais examinons d’abord le droit naturel de chacun, sans nous occuper encore de l’État et de la religion.

Par droit naturel et institution de la nature, nous n’entendons pas autre chose que les lois de la nature de chaque individu, selon lesquelles nous concevons que chacun d’eux est déterminé naturellement à exister et à agir d’une manière déterminée. Ainsi, par exemple, les poissons sont naturellement faits pour nager ; les plus grands d’entre eux sont faits pour manger les petits ; et conséquemment, en vertu du droit naturel, tous les poissons jouissent de l’eau et les plus grands mangent les petits. Car il est certain que la nature, considérée d’un point de vue général, a un droit souverain sur tout ce qui est en sa puissance, c’est-à-dire que le droit de la nature s’étend jusqu’où s’étend sa puissance. La puissance de la nature, c’est, en effet, la puissance même de Dieu, qui possède un droit souverain sur toutes choses ; mais comme la puissance universelle de toute la nature n’est autre chose que la puissance de tous les individus réunis, il en résulte que chaque individu a un droit sur tout ce qu’il peut embrasser, ou, en d’autres termes, que le droit de chacun s’étend jusqu’où s’étend sa puissance. Et comme c’est une loi générale de la nature que chaque chose s’efforce de se conserver en son état autant qu’il