Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome II.djvu/330

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gnorer le droit de la souveraineté, se fier aux paroles et aux promesses de celui qui a le droit et le pouvoir de tout faire, et pour qui le salut et l’intérêt de son empire sont la loi suprême ? Mais écartons ces considérations, et consultons la religion et la piété ; elles nous diront que celui qui est dépositaire du pouvoir ne peut sans crime garder ses promesses, si leur accomplissement doit entraîner la ruine de l’État ; car, quelque engagement qu’il ait pris, du moment que l’intérêt de l’État peut en souffrir, il n’est plus tenu d’y être fidèle ; autrement il viole son premier devoir et ses sentiments les plus sacrés en trahissant la foi qu’il a donnée à ses sujets. — L’ennemi est celui qui vit en dehors de l’État et n’en reconnaît point l’autorité, ni comme sujet, ni comme allié ; car ce n’est pas la haine qui fait un ennemi de l’État, mais c’est le droit, le droit de l’État, qui est le même contre celui qui ne reconnaît le pouvoir de l’État par aucun contrat et contre celui qui lui a fait quelque dommage ; aussi l’État a-t-il le droit de forcer le premier par tous les moyens, ou de se soumettre, ou de contracter alliance. — Enfin le crime de lèse-majesté n’a lieu que chez les sujets, lesquels, par un pacte tacite ou exprès, ont transféré tous leurs droits à l’État ; on dit qu’un sujet a commis ce crime, lorsqu’il a cherché par une raison quelconque à s’approprier le droit absolu du souverain, ou à le faire passer en d’autres mains. Je dis il a cherché ; car si l’on ne devait punir le coupable qu’après l’accomplissement de l’acte, on s’y prendrait souvent trop tard, et lorsque l’autorité souveraine aurait été déjà usurpée ou transférée dans d’autres mains. Je dis ensuite, absolument, celui qui par une raison quelconque a cherché à s’approprier le droit absolu du souverain ; car je n’admets aucune distinction dans son action, soit qu’il en résulte pour l’État un accroissement considérable ou un grand dommage. Car, de quelque manière qu’il ait fait cette tentative, il a attenté à la majesté du souverain et il doit être condamné ; c’est ce que tout le monde reconnaît