Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome II.djvu/350

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du peuple, qui décidait de toutes les affaires, mais que les unes étaient administrées par une seule tribu, les autres par toutes les tribus avec un droit égal, n’en résulte-t-il pas avec la dernière évidence que le gouvernement, après la mort de Moïse, ne fut ni monarchique, ni aristocratique, ni populaire, mais qu’il fut, comme nous l’avons dit, théocratique ; et cela par les raisons suivantes : 1° le siège de l’État était un temple ; et c’est par là seulement, comme nous l’avons montré, que les hommes de toutes les tribus étaient concitoyens ; 2° tous les membres de l’État devaient jurer fidélité à Dieu, leur juge suprême, auquel seul ils avaient promis en toutes choses une obéissance absolue ; 3° enfin le commandant suprême des armées, quand il en était besoin, ne pouvait être élu que par Dieu seul ; c’est ce que dit expressément Moïse, au nom de Dieu, dans le Deutéronome, chapitre XIX, verset 15 ; c’est ce que confirme l’élection de Gédéon, de Samson et de Shamuël, de sorte qu’on ne saurait douter que les autres chefs, fidèles à Dieu, n’aient été élus de la même manière, bien que cela ne soit pas constaté par leur histoire.

Reste à voir maintenant jusqu’à quel point une telle constitution était propre à maintenir les esprits dans la modération, et à retenir les gouvernants et les gouvernés également loin, ceux-ci de la rébellion, ceux-là de la tyrannie.

Ceux qui administrent l’État ou qui ont le pouvoir en main, quelque action qu’ils fassent, s’efforcent toujours de la revêtir des couleurs de la justice et de persuader au peuple qu’ils ont agi dans des vues honorables ; ce qui est chose facile, quand l’interprétation du droit est en leur pouvoir. Il n’est pas douteux, en effet, qu’un tel privilège ne leur donne la plus grande liberté possible de s’abandonner à tous leurs caprices et à toutes leurs passions ; au contraire, cette liberté serait fortement contenue, si le droit d’interpréter la loi était dans les mains d’un autre, et si la vraie interprétation de la loi était si