Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome II.djvu/364

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l'imiter, et ce serait une entreprise très-déraisonnable. Car celui qui voudrait transférer ses droits à Dieu devrait former, à la manière de la nation hébraïque, une alliance expresse avec Dieu ; ce qui exigerait non-seulement la volonté de celui qui abandonnerait ses droits, mais encore celle de Dieu. Or Dieu n’a-t-il pas déclaré par les apôtres que désormais l’alliance de la Divinité avec l’homme ne serait écrite ni avec de l’encre, ni sur des tables de pierre, mais dans le cœur de chacun par l’Esprit divin ? Ensuite cette forme de gouvernement ne saurait être de quelque utilité qu’à un peuple qui voudrait se concentrer en lui-même, sans relations au dehors, s’enfermer dans ses frontières et se séparer du reste du monde, et non point à un peuple qui a besoin d’avoir des relations continuelles avec ses voisins. Voilà pourquoi une pareille forme de gouvernement ne pourrait convenir qu’à un très-petit nombre de peuples. Toutefois, bien que la constitution hébraïque ne soit pas à imiter en bien des points, il en est beaucoup cependant qui méritent d’être remarqués et qu’on pourrait même lui emprunter très-utilement. Mais comme mon dessein, ainsi que j’en ai déjà averti, n’est pas de composer un traité complet de politique, je ne parlerai que de celles des institutions des Hébreux qui se rattachent à mon objet.

Je remarquerai premièrement que la royauté de Dieu dans l’État ne s’opposait point à ce qu’on revêtît un homme de la souveraine majesté, et qu’on remît entre ses mains le souverain pouvoir. En effet, les Hébreux, après avoir transféré leurs droits à Dieu, ne donnèrent-ils pas le souverain pouvoir à Moïse, qui seul possédait le droit d’établir et d’abolir les lois au nom de Dieu, de choisir les ministres du culte, de juger, d’instruire, de châtier le peuple, enfin de commander à tous d’une manière absolue ? Ensuite, bien que les ministres du culte fussent les interprètes de la loi, il ne leur appartenait point de juger les citoyens et d’en exclure aucun de la communauté politique ; c’était le droit exclusif des juges