Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome II.djvu/369

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dans les mains des rois, auxquels les prophètes s’efforçaient de complaire. Il faut remarquer encore que le peuple, dont l’esprit souple s’élève ou s’abaisse selon les circonstances, se corrigeait facilement dans l’adversité, revenait à Dieu, rétablissait les lois, et de cette manière échappait au danger, au lieu que les rois, dont l’esprit est sans cesse enflé d’orgueil et qui ne sauraient fléchir sans honte, restèrent obstinément attachés à leurs vices jusqu’à la ruine entière de Jérusalem.

Ces considérations montrent clairement :

I. Qu’il n’y a rien de plus funeste à la fois à la religion et à l’État que de confier aux ministres du culte le droit de porter des décrets ou d’administrer les affaires publiques ; qu’au contraire, toutes choses demeurent bien établies, lorsqu’ils se renferment dans les limites de leurs attributions et qu’ils se bornent à répondre aux questions qui leur sont adressées, et, en tout cas, restreignent leurs enseignements et leurs actes administratifs aux choses reçues et consacrées par un long usage.

II. Que rien n’est si périlleux que de rapporter et de soumettre au droit divin des choses de pure spéculation, et d’imposer des lois aux opinions qui sont ou peuvent être un sujet de discussion parmi les hommes. Le gouvernement en effet ne peut être que violent là où les opinions, qui sont la propriété de chacun et dont personne ne saurait se départir sont imputées à crime ; il y a plus, dans un tel pays, le gouvernement est ordinairement le jouet des fureurs du peuple. Ainsi Pilate, cédant à la colère des pharisiens, fit crucifier le Christ qu’il croyait innocent. Ensuite les pharisiens, pour dépouiller les riches de leurs dignités, se mirent à agiter les questions religieuses et à accuser d’impiété les saducéens ; et, à l’exemple des pharisiens, les plus détestables hypocrites, agités de la même rage, qu’ils décoraient du nom de zèle pour les droits de Dieu, s’acharnèrent à persécuter des hommes recommandables par leurs vertus et