Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome II.djvu/371

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défendre une législation dans l’institution de laquelle on n’a pu avoir égard au roi, mais seulement au peuple, ou au conseil qui administrait les affaires publiques, à tel point qu’en prenant la défense des anciens droits du peuple, il s’en ferait l’esclave au lieu d’en être le maître. Le nouveau monarque fera donc tous ses efforts pour instituer de nouvelles lois, réformer la constitution à son profit, et rendre moins facile au peuple d’enlever aux rois l’autorité souveraine que de la leur abandonner. Je ne puis m’empêcher d’ajouter qu’il ne serait pas moins dangereux de mettre à mort le roi, fût-il mille fois constaté qu’il est un tyran. Car le peuple, habitué à l’autorité royale, dompté par elle, prendra en mépris et en dérision une autorité inférieure, et un roi tué, il se verra bientôt contraint, comme autrefois les prophètes, de lui élire un successeur, qui sera tyran, non plus volontairement, mais par nécessité. De quel œil pourra-t-il voir autour de lui des citoyens, les mains souillées d’un sang royal, faire gloire de leur parricide comme d’une belle action ? Ajoutez que le crime n’a été commis que pour lui être un exemple et un avertissement à lui-même. Sans aucun doute, s’il veut être véritablement roi, ne point reconnaître le peuple pour le juge des rois et pour son maître, et ne point se contenter d’un règne précaire, il doit d’abord venger la mort de son prédécesseur, et avoir ainsi par devers lui un exemple qui ôte au peuple l’audace de commettre une seconde fois le même forfait. Or il ne pourra guère venger la mort du tyran par le supplice des citoyens sans défendre la cause du tyran, approuver ses actions, et par conséquent marcher sur ses traces. De là vient que le peuple peut bien changer souvent de tyran, mais non pas s’affranchir de la tyrannie, non plus que substituer à la monarchie une autre forme de gouvernement. Il y a de cela un funeste exemple chez le peuple anglais, qui s’est efforcé de donner au meurtre d’un roi les apparences de la justice. Le roi mort, il fallut bien tout au moins changer la forme du