Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome II.djvu/375

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ne peuvent recevoir force de droit et de loi que de ceux qui représentent le droit de l’État, j’en tirerai naturellement cette conclusion (attendu que le droit de l’État n’appartient qu’au souverain) : que la religion ne peut acquérir force de droit que par le décret seul de ceux qui possèdent le droit de commander, et que Dieu ne peut fonder son royaume parmi les hommes que par le moyen des souverains. Or que le culte de la charité et de la justice ne reçoive force de droit que de ceux qui disposent du droit de l’État, c’est ce qui résulte évidemment de ce qui précède. N’avons-nous pas montré, chap. XVI, que dans l’état de nature, le droit n’appartient pas plus à la raison qu’à la passion, et que ceux qui vivent sous les lois de la passion, aussi bien que ceux qui vivent sous les lois de la raison, ont un droit égal sur toutes les choses qui sont en leur pouvoir ? C’est pour cela que, dans l’état de nature, nous n’avons pu ni concevoir de péché possible, ni nous représenter Dieu comme un juge qui châtie les péchés des hommes ; mais il nous a paru que toutes choses se produisaient selon les lois générales de la nature universelle, et qu’il n’y avait point de différence entre le juste et l’impie, entre l’homme pur et l’homme impur (pour parler le langage de Salomon), parce qu’il n’y avait de place ni pour la justice ni pour la charité. Mais pour que les enseignements de la vraie raison, c’est-à-dire (comme nous l’avons expliqué au chapitre IV, en parlant de la loi divine) les enseignements de la Divinité elle-même eussent force de droit absolu, il a fallu que chacun fît abandon de son droit naturel dans les mains de tous, ou d’un petit nombre, ou d’un seul. Et c’est alors qu’enfin nous avons commencé à comprendre ce que c’est que justice, injustice, équité, iniquité. La justice, et en général tous les enseignements de la vraie raison, et par conséquent la charité envers le prochain, ne peuvent donc recevoir force de droit et de loi que du droit même du gouvernement, c’est-à-dire (d’après les explications que nous avons données dans le même cha-