Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome II.djvu/389

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cependant avec tant de confiance aux directions du pouvoir qu’ils semblent jusqu’à un certain point en être devenus la propriété. Mais, quelle que soit l’habileté du gouvernement, il n’en reste pas moins certain que chacun abonde dans son sens, et que les opinions ne diffèrent pas moins que les goûts. Moïse, qui avait si fort prévenu le jugement de son peuple, non par esprit de ruse, mais par la vertu divine qui était en lui, inspiré qu’il était de l’esprit divin dans toutes ses paroles et toutes ses actions, ne put cependant éviter les rumeurs du peuple et de sinistres interprétations de ses actes. Bien moins encore les rois sont-ils à l’abri de ce péril. Et cependant si une puissance sans restriction pouvait se concevoir en quelque façon, ce serait à coup sûr dans un gouvernement monarchique, et non pas dans un gouvernement démocratique, où tous les citoyens, ou du moins la plus grande partie, administrent collectivement les affaires ; c’est un fait dont chacun, je pense, comprend parfaitement la cause.

Quel que soit donc le droit du souverain sur toute chose, quels que soient ses titres à interpréter le droit civil et la religion, jamais cependant il ne pourra faire que les hommes ne jugent pas les choses avec leur esprit et n’en soient pas affectés de telle ou telle manière. Il est bien vrai que le gouvernement peut à bon droit considérer comme ennemis ceux qui ne partagent pas sans restriction ses sentiments ; mais nous n’en sommes plus à discuter des droits du gouvernement, nous cherchons maintenant à déterminer ce qui est le plus utile. J’accorde bien que l’État a le droit de gouverner avec la plus excessive violence, et d’envoyer, pour les causes les plus légères, les citoyens à la mort ; mais tout le monde niera qu’un gouvernement qui prend conseil de la saine raison puisse accomplir de pareils actes. Il y a plus : comme le souverain ne saurait prendre ces mesures violentes sans mettre l’État tout entier dans le plus grand péril, nous