Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome II.djvu/431

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dans l’état de nature il n’y a pas de péché, ou que si quelqu’un pèche, c’est envers soi-même et non envers autrui ; personne en effet dans l’état de nature n’est tenu de se conformer, à moins que ce ne soit de son plein gré, aux volontés d’autrui, ni de trouver bon ou mauvais autre chose que ce que lui-même juge bon ou mauvais selon son caractère, et rien n’est absolument défendu par le droit naturel que ce que nul ne peut faire (voyez les articles 5 et 8 du présent chapitre). Or, qu’est-ce que le péché ? une action qui ne peut être faite à bon droit. Que si les hommes étaient tenus par institution naturelle d’être conduits par la raison, tous alors seraient nécessairement conduits par la raison ; car les institutions de la nature sont les institutions de Dieu (par les articles 2 et 3 du présent chapitre), et Dieu les a établies librement, aussi librement qu’il existe ; d’où il suit qu’elles résultent de la nature divine (voyez l’article 7 du présent chapitre), et par conséquent qu’elles sont éternelles et ne peuvent être violées. Mais les hommes sont presque toujours conduits par l’appétit sans raison, ce qui n’empêche pas qu’ils ne suivent nécessairement l’ordre de la nature, loin de le troubler ; et c’est pourquoi l’ignorant, dont l’âme est impuissante, n’est pas plus obligé par le droit naturel de gouverner sa vie avec sagesse que le malade n’est tenu d’avoir un corps sain.

19. Ainsi donc le péché ne se peut concevoir que dans un ordre social où le bien et le mal sont déterminés par le droit commun, et où nul ne fait à bon droit (par l’article 16 du présent chapitre) que ce qu’il fait conformément à la volonté générale. Le péché, en effet, c’est (comme nous l’avons dit à l’article précédent) ce qui ne peut être fait à bon droit, ou ce qui est défendu par la loi ; l’obéissance, au contraire, c’est la volonté constante d’exécuter ce que la loi déclare bon, ou ce qui est conforme à la volonté générale.

20. Il est d’usage cependant d’appeler aussi péché ce qui se fait contre le commandement de la saine raison,