Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome II.djvu/452

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tous les jours aux excitations les plus fortes de la passion.

4. D’un autre côté, l’expérience parait enseigner qu’il importe à la paix et à la concorde que tout le pouvoir soit confié à un seul. Aucun gouvernement en effet n’est demeuré aussi longtemps que celui des Turcs sans aucun changement notable, et au contraire il n’y en a pas de plus changeants que les gouvernements populaires ou démocratiques, ni de plus souvent troublés par les séditions. Il est vrai ; mais si l’on donne le nom de paix à l’esclavage, à la barbarie et à la solitude, rien alors de plus malheureux pour les hommes que la paix. Assurément les discordes entre parents et enfants sont plus nombreuses et plus acerbes qu’entre maîtres et esclaves ; et cependant il n’est pas d’une bonne économie sociale que le droit paternel soit changé en droit de propriété et que les enfants soient traités en esclaves. C’est donc en vue de la servitude et non de la paix qu’il importe de concentrer tout le pouvoir aux mains d’un seul ; car la paix, comme il a été dit, ne consiste pas dans l’absence de la guerre, mais dans l’union des cœurs.

5. Et certes ceux qui croient qu’il est possible qu’un seul homme possède le droit suprême de l’État sont dans une étrange erreur. Le droit en effet se mesure à la puissance, comme nous l’avons montré au chapitre II. Or la puissance d’un seul homme est toujours insuffisante à soutenir un tel poids. D’où il arrive que celui que la multitude a élu roi se cherche à lui-même des gouverneurs, des conseillers, des amis, auxquels il confie son propre salut et le salut de tous, de telle sorte que le gouvernement qu’on croit être absolument monarchique est en réalité aristocratique, aristocratie non pas apparente, mais cachée et d’autant plus mauvaise. Ajoutez à cela que le roi, s’il est enfant, malade ou accablé de vieillesse, n’est roi que d’une façon toute précaire. Les vrais maîtres du pouvoir souverain, ce sont ceux qui administrent les affaires ou qui touchent de plus près au roi, et je ne parle pas du cas où le roi livré à la débauche gouverne toutes