Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome II.djvu/496

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corps qui possède, comme l’Assemblée dont il s’agit, le droit du souverain, donne à qui que ce soit le pouvoir de faire les lois ou de les abroger, sans abandonner aussitôt son droit et le mettre dans les mains de celui auquel il donnerait un tel pouvoir ; car posséder, même un seul jour, le pouvoir de faire les lois ou de les abroger, c’est être en mesure de changer toute l’organisation de l’État. Il n’en est pas de même de l’administration des affaires quotidiennes ; l’Assemblée peut s’en décharger pour un temps sans rien perdre de son droit souverain. Ajoutons que si les fonctionnaires de l’État étaient élus par un autre que par l’Assemblée, celle-ci serait composée, non plus de patriciens, mais de pupilles.

18. Il y a des peuples qui donnent à l’Assemblée des patriciens un directeur ou prince, tantôt nommé à vie, comme à Venise, tantôt pour un temps, comme à Gênes ; mais cela se fait avec de telles précautions qu’on voit assez que cette élection met l’État dans un grand danger. Il est hors de doute, en effet, que l’État se rapproche alors beaucoup de la monarchie. Aussi bien ce qu’on sait de l’histoire de ces peuples donne à penser qu’avant la constitution des assemblées patriciennes, ils avaient eu une sorte de roi sous le nom de directeur ou de doge. Et par conséquent l’institution d’un directeur peut bien être un besoin nécessaire de telle nation, mais non du gouvernement aristocratique considéré d’une manière absolue.

19. Cependant, comme le souverain pouvoir est aux mains de l’Assemblée tout entière et non de chacun de ses membres (car autrement elle ne serait plus qu’une multitude en désordre), il est nécessaire que les patriciens soient si étroitement liés entre eux par les lois qu’ils ne composent qu’un seul corps, régi par une seule âme. Or les lois toutes seules sont par elles-mêmes de faibles barrières et faciles à briser, quand surtout les hommes chargés de veiller à leur conservation sont ceux-là même qui peuvent les violer et qui sont tenus de se maintenir