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DE LA RÉFORME

ou bien[1], lorsque la nature de l’âme nous est connue, nous ne pouvons la feindre carrée, bien que nous puissions énoncer toutes ces choses. Mais, comme il a été dit, moins les hommes connaissent la nature, et plus il est en leur pouvoir de feindre mille choses : des arbres qui parlent, des hommes qui se métamorphosent soudain en pierres, en fontaines, des spectres qui apparaissent dans des miroirs, rien qui devient quelque chose, et jusqu’aux dieux prenant la figure des bêtes ou des hommes, et une infinité de choses du même genre.

Mais il est des gens qui croient que la fiction est limitée par la fiction, et non par l’intelligence ; c’est-à-dire qu’après avoir feint une chose, et avoir affirmé, par un acte libre de la volonté, l’existence de cette chose, déterminée d’une certaine manière dans la nature, il ne nous est plus possible de la concevoir autrement. Par exemple, après avoir feint (pour parler leur langage) que la nature du corps est telle ou telle, il ne m’est plus permis de feindre une mouche infinie ; après avoir feint l’essence de l’âme, il ne m’est plus permis d’en faire un carré, etc. Cela a besoin d’être examiné. D’abord, ou bien ils nient, ou bien ils accordent que nous pouvons comprendre quelque chose. L’accordent-ils ; ce qu’ils disent de la fiction, ils devront nécessairement le dire aussi de l’intelligence. Le nient-ils ; voyons donc, nous qui savons que nous savons quelque chose, ce qu’ils disent. Or, voici ce qu’ils disent : l’âme est capable de sentir et de percevoir de plusieurs manières, non pas elle-même, non pas les choses qui existent, mais seulement les choses qui ne sont ni en elle-même ni ailleurs : en un mot, l’âme, par sa seule vertu, peut créer des sen-

  1. Il arrive souvent qu’un homme rappelle à son souvenir ce mot d’âme, et qu’en même temps il compose quelque figure matérielle ; et parce que ces deux représentations se trouvent ensemble dans son esprit, il se persuade facilement qu’il imagine et qu’il feint une âme matérielle, ne distinguant pas le nom de la chose elle-même. Je prie le lecteur de ne pas se hâter de rejeter ce que j’avance, et il n’aura jamais lieu de le faire, je pense, s’il est attentif aux exemples que je donne et à la suite du discours.