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LETTRES.

admirable, mais j’en accuse d’autant plus la grossièreté de mon esprit, qui saisit avec tant de peine ce que vous exposez avec un art si parfait. Veuillez donc permettre que je vous laisse voir cette lenteur de mon intelligence en vous posant les questions suivantes, dont je vous supplie de me donner la solution. Et, d’abord, est-ce pour vous une chose claire et hors de doute qu’il s’ensuive, de la seule définition que vous donnez de Dieu, que Dieu existe effectivement ? Pour moi, quand j’y réfléchis, je trouve que les définitions ne contiennent rien de plus que les concepts de notre âme ; or notre âme conçoit une foule de choses qui n’ont point d’existence réelle, et dès qu’elle les a conçues, elle les multiplie et les amplifie avec une extrême fécondité, ce qui fait que je ne puis comprendre que du seul concept de Dieu on infère l’existence de Dieu. Rien ne m’empêche de faire en mon esprit un amas de toutes les perfections que j’ai perçues dans les hommes, les animaux, les végétaux, les minéraux, et de former de la sorte une certaine substance qui possède toutes ces perfections d’une façon durable ; je puis même les multiplier et les amplifier à l’infini, et je constitue par ce moyen un être très-excellent et très-parfait, sans qu’il résulte le moins du monde de cette construction qu’il existe effectivement rien de semblable. — Ma seconde question est de savoir si vous tenez pour certain que le corps n’est point limité par la pensée, ni la pensée par le corps. Remarquez que la nature de la pensée est encore une chose douteuse, et qu’on ignore si c’est un mouvement corporel ou bien un acte spirituel parfaitement distingué du corps. — Je vous demanderai, en troisième lieu, si vous considérez les axiomes que vous avez bien voulu me communiquer comme des principes indémontrables, connus par la lumière naturelle, et n’ayant besoin d’aucune preuve. Le premier axiome a certainement ce caractère ; mais je ne vois pas qu’on puisse mettre les trois autres au rang de celui-là. Le second, en effet, suppose qu’il n’existe dans la nature des choses