Page:Œuvres de Théophile Gautier - Poésies, Volume 3, Lemerre, 1890.djvu/61

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Nobles lambeaux, défroque épique,
Saints haillons, qu’étoile une croix,
Dans leur ridicule héroïque
Plus beaux que des manteaux de rois !

Un plumet énervé palpite
Sur leur kolback fauve et pelé ;
Près des trous de balle, la mite
A rongé leur dolman criblé ;

Leur culotte de peau trop large
Fait mille plis sur leur fémur ;
Leur sabre rouillé, lourde charge,
Creuse le sol et bat le mur ;

Ou bien un embonpoint grotesque,
Avec grand’peine boutonné,
Fait un poussah, dont on rit presque,
Du vieux héros tout chevronné.

Ne les raillez pas, camarade ;
Saluez plutôt chapeau bas
Ces Achilles d’une Iliade
Qu’Homère n’inventerait pas !

Respectez leur tête chenue !
Sur leur front par vingt cieux bronzé,
La cicatrice continue
Le sillon que l’âge a creusé.

Leur peau, bizarrement noircie,
Dit l’Égypte aux soleils brûlants ;
Et les neiges de la Russie
Poudrent encor leurs cheveux blancs.