Page:Œuvres de Virgile (éd. Panckoucke, 1859).pdf/19

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était grand de corps, de stature (je me le figure cependant un peu mince, un peu frêle, à cause de son estomac et de sa poitrine, quoiqu’on ne le dise pas) ; il avait gardé de sa première vie et de sa longue habitude aux champs le teint brun, hâlé, un certain air de village, un premier air de gaucherie ; enfin, il y avait dans sa personne quelque chose qui rappelait l’homme qui avait été élevé à la campagne. Il fallait quelque temps pour que cette urbanité qui était au fond de sa nature se dégageât.

Les portraits de lui qui nous le représentent les cheveux longs, l’air jeune, le profil pur, en regard de la majestueuse figure de vieillard d’Homère, n’ont rien d’authentique, et seraient aussi bien des portraits d’Auguste ou d’Apollon.

Sénèque, dans une lettre à Lucilius, parle d’un ami de ce dernier, d’un jeune homme de bon et ingénu naturel, qui, dans le premier entretien, donna une haute idée de son âme, de son esprit, mais toutefois une idée seulement ; car il était pris à l’improviste et il avait à vaincre sa timidité : « et même, en se recueillant, il pouvait à peine triompher de cette pudeur, excellent signe dans un jeune homme ; tant la rougeur, dit Sénèque, lui sortait du fond de l’âme (adeo illi ex alto suffusus est rubor) ; et je crois même que, lorsqu’il sera le plus aguerri, il lui en restera toujours. » Virgile me semble de cette famille ; il avait la rougeur prompte et la tendresse du front (frontis mollities) ; c’était une de ces rougeurs intimes qui viennent d’un fonds durable de pudeur naturelle. Il était de ceux encore dont Pope, l’un des plus beaux esprits et des plus sensibles, disait : « Pour moi, j’appartiens à cette classe dont Sénèque a dit : « Ils sont si amis de l’ombre, qu’ils considèrent comme étant dans le tourbillon tout ce qui est dans la lumière. »

Virgile aimait trop la gloire pour ne pas aimer la louange, mais il l’aimait de loin et non en face ; il la fuyait au théâtre ou dans les rues de Rome ; il n’aimait pas à