Page:Œuvres de Virgile (éd. Panckoucke, 1859).pdf/23

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lités d’existence, que Martial attribue aussitôt les hautes conceptions du chantre d’Énée et toute cette distance d’essor qui sépare le poëme du Moucheron de la mâle pensée qui se porta à célébrer les origines de Rome. La recette lui paraît sûre pour créer des Virgiles à volonté : essayez-en ! Et lui-même au besoin il se propose.

Sortons de ces explications matérielles et plates à l’usage d’un Martial, c’est-à-dire d’un homme d’esprit qui tendait la main, et lisons mieux dans l’âme, dans les sources vraies du talent de Virgile. Tout en convenant avec le généreux satirique Juvénal qu’il y a un degré de pauvreté et de gêne qui aurait paralysé sa veine épique, et que « si Virgile n’avait pas eu de valet pour le servir ni de logis un peu commode, tous ces serpents qu’il a hérissés sur la tête de la furie Alecton seraient tombés d’eux-mêmes, et qu’elle n’eût pas eu de souffle pour faire résonner si fort son cor infernal, » n’allons pas mettre le principe de l’inspiration dans ce qui n’a été qu’une condition favorable. Dès ses Bucoliques, Virgile nous découvre son côté social, ce sentiment nouveau qui allait faire de lui le chantre d’une époque et le représentant le plus direct, le plus en vue du monde ancien regardant désormais le monde moderne. De bonne heure le poëte a l’aspiration aux grandes choses, aux grands sujets vers lesquels il se dirige dans sa calme et puissante douceur. Après la guerre de Pérouse, Pollion étant consul, il y eut une ébauche de pacification universelle : Antoine épousa Octavie, sœur d’Octave, et celui-ci épousa Scribonie ; ces deux femmes étaient enceintes : est-ce à l’un des deux enfants qui devaient naître d’elles, ou tout simplement au fils qui naquit vers ce temps-là à Pollion, que s’appliquent les pronostics magnifiques et en apparence si disproportionnés de la quatrième Églogue (Magnus ab integro seclorum nascitur ordo) ? On a beaucoup raisonné et subtilisé sur les sens mystérieux qu’on a cru voir dans cette pièce toute fatidique, toute remplie des promesses de l’Âge d’or. J’y vois une preuve certaine de l’instinct et du