Page:Œuvres de Virgile (éd. Panckoucke, 1859).pdf/230

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thage, qui s’élevait sur la rive africaine opposée à l’Italie, et de loin regardait les bouches du Tibre ; elle était puissante par ses richesses, et redoutable par son ardeur guerrière. On dit que Junon la préférait au reste de la terre ; Samos même lui plaisait moins : là étaient ses armes et son char : en faire la reine des nations, si toutefois les destins le permettent, tels sont le but de ses efforts et l’espoir qu’elle caresse.

Mais elle avait appris qu’une race issue du sang troyen renverserait un jour les murs de Carthage ; qu’un peuple-roi, dominateur au loin, et superbe dans la guerre, viendrait pour la ruine de la Libye : tel était l’arrêt du destin.

À cette crainte de la fille de Saturne se joint le souvenir des combats qu’elle a livrés, sous les remparts d’Ilion, pour les Argiens qu’elle protège : dans son cœur demeurent profondément gravés le jugement de Pâris, l’injure de sa beauté méprisée, sa haine contre une race odieuse, l’enlèvement et les honneurs de Ganymède. Enflammée par ces outrages, elle repoussait loin du Latium les Troyens, jouets des flots, restes de la fureur des Grecs et de l’impitoyable Achille. Depuis longues années, poursuivis par le destin, ils erraient sur toutes les mers : tant était grande et lourde la tâche de fonder la puissance romaine !