Page:Œuvres de Virgile (éd. Panckoucke, 1859).pdf/334

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vrai, sur la flotte des Grecs ; j’ai porté, je l’avoue, la guerre aux pénates de Troie. Si c’est à vos yeux un crime indigne de pardon, jetez-moi dans les flots, plongez-moi dans le vaste abîme des mers ; si je dois périr, il me sera doux de périr de la main des hommes. »

Il dit ; et se roulant à nos genoux, il les embrasse et s’y tient prosterné. Nous l’invitons à faire connaître son nom, et le sang dont il est né, et son triste destin ; Anchise lui-même s’empresse de lui tendre la main, et, par ce gage tutélaire, rassure ses esprits. Déposant enfin toute crainte, il parle ainsi :

« Ithaque est ma patrie. Je suis l’un des compagnons du malheureux Ulysse : mon nom est Achéménide. La pauvreté d’Adamaste, mon père, décida mon départ pour le siége de Troie (eh ! que n’ai-je su me contenter de son humble fortune !). Mes compagnons éperdus, m’oubliant et fuyant ces bords cruels, me laissèrent dans l’antre du Cyclope, ténébreux et vaste repaire, toujours souillé de carnage et de mets sanglants. Lui-même, d’une taille énorme, semble toucher de son front les astres (dieux, préservez la terre d’un fléau si cruel !). Il est horrible à voir et à entendre ; il se repaît des entrailles des malheureux et de sang noir : moi-même je l’ai vu saisir de sa vaste main deux de nos